Rencontre avec André Borschberg, CEO de Solar Impulse et Co-Fondateur de H55.
Ensemble, avec notre collègue suisse Pascal Kümmerling, nous avons eu la chance d’échanger avec André Borschberg, l’occasion de faire le point sur l’avancée des systèmes de propulsion électrique et les enjeux de la décarbonation du secteur de l’aviation.
André Borschberg copyright © Claudio Latorre
De Solar Impulse à H55 : la Suisse à l’avant-scène de la propulsion durable
Tout le monde se souvient d’André Borschberg qui a réalisé, avec son compatriote Bertrand Piccard, le premier vol solaire électrique autour du monde à bord de Solar Impulse ; un périple de 43 000 kilomètres réalisé en 150 jours entre mars 2015 et juillet 2016. Depuis, André Borschberg, pilote professionnel et entrepreneur, a créé H55, avec 2 anciens de Solar Impulse - Seb Demont et Greg Blatt – H55, une start-up basée à Sion dans le canton du Valais
Solar Impulse copyright © Revillard
H55 se positionne comme pionnière dans les technologies de propulsion électrique et de stockage d’énergie. Peut-on faire un point sur les développements et la certification ?
« A ce jour, H55 se concentre sur 2 secteurs que sont l’aviation générale (jusqu’à 9-10 passagers) et le transport régional (50-80 passagers) ainsi que de nouveaux types de configurations d’avions que l’on peut difficilement développer avec des moteurs thermiques. Nous avons démarré avec des applications de type « flight trainer » qui étaient idéales pour la propulsion électrique et nous sommes en train d’obtenir une certification de Type (TC) sur l’ensemble du système de propulsion : moteur et batteries. Dans le cas de la certification de nouvelles technologies, les autorités compétentes doivent d’abord comprendre les risques de ces nouvelles solutions, afin d’être à même de définir les règles de certification.
De plus, les autorités nord-américaines et Européennes, la FAA et l’EASA, ont pris du temps pour s’aligner sur une approche commune. Ces deux facteurs ont profondément ralenti tout le processus. Malgré ces défis, nous visons l’obtention du TC d’ici la fin de l’année. »
Sur quels types de projets travaillez-vous actuellement ?
« Nous travaillons sur des projets 100% électriques avec batteries, mais aussi sur des projets hybrides comme par exemple avec Pratt & Whitney Canada. Dans ce dernier cas, H55 contribue à alimenter en énergie - au travers d’un bloc de batteries - un moteur hybride installé sur un démonstrateur de vol de type Dash 8-100 produit par De Havilland Canada, un appareil d’une cinquantaine de places. Cette technologie hybride-électrique présente un potentiel important pour accroître l’efficacité des systèmes de propulsion des avions de prochaine génération, ce qui permet de définir de nouvelles normes de durabilité pour les avions régionaux et de transport de passagers. La combinaison d’un moteur thermique et électrique doit permettre une amélioration de 30 % de la consommation de carburant et une réduction proportionnelle des émissions de CO2. Nous pensons que ce type d’équipement hybride est voué à fonctionner encore de nombreuses années jusqu’à ce que l’on soit capable de passer au 100% électrique afin de décarboner entièrement ce type de vol. »
Pensez-vous qu’équiper toute l’aviation générale de moteurs électriques d’ici 2030 soit réalisable ?
« D’ici 2030, certainement pas ! Je dirais plutôt que d’ici 2025, l’aviation légère électrique sera certifiable, partiellement certifiée et en début de commercialisation. Nous travaillons, par exemple, avec certaines écoles d’aviation, comme CAE Canada, afin de les aider à transformer leurs flottes d’avions existants en évoluant d’un moteur à combustion vers un moteur électrique. Nous prévoyons de leur livrer, en 2025, des modules de batteries pour les avions Piper Archer qui ont une autonomie d’une heure et demi et qui sont destinés à la formation des pilotes. A partir de 2025, nous assisterons donc au démarrage de la transformation de ce segment. A partir de 2030, nous pouvons envisager le démarrage de l’hybridation des vols régionaux et continentaux. Cela va se faire progressivement, étape par étape… »
L’activité H55 a démarré à Sion en Suisse pour se développer, par la suite, en Amérique du Nord et en France. Pouvez-vous nous en dire plus sur la stratégie de marché de H55 ?
« H55 a choisi de rester très focalisée sur son expertise et de ne se pas s’éparpiller. En ce qui concerne les marchés, nous avons décidé d’être présents sur les marchés les plus dynamiques dans le domaine de la décarbonation aérospatiale, car nous avons besoin de supports étatiques pour soutenir des projets à long terme qui demandent beaucoup de ressources. Le Canada a décidé de s’impliquer fortement dans cette voie. La France est également un pays dynamique qui souhaite contribuer à cette transformation. C’est pour cette raison que nous nous sommes aussi récemment installés à Toulouse. »
H55 est aujourd’hui reconnu au niveau international, notamment au Canada avec l’implantation de l’entreprise. Qu’est-ce qui fait la renommée de H55 ?
« Le succès de H55 est lié à la crédibilité générée par le projet Solar Impulse ; nous avons démontré que nous sommes capables de faire ce que l’on dit ; de faire voler un avion avec ce type de technologie et de partir de cette expérience pour intégrer cette technologie dans un avion. Nous avons mis l’accent très vite sur la certification du produit, ce qui offre une longueur d’avance à H55 sur le marché de la propulsion électrique ».
Quel message souhaiteriez-vous adresser aux décideurs européens ?
« Si l’Europe veut être un chef de file de cette transition, il faut se fixer des priorités et ne pas oublier que le secteur aéronautique est un secteur qui évolue lentement. Si aujourd’hui, l’activité du secteur aérien contribue à mesure de 2 - 3% aux émissions de CO2, il ne faut pas omettre les prévisions de croissance du secteur dans les années à venir. Les mesures et actions doivent être prises dès maintenant et il est essentiel de se donner les moyens ! ».
Bristell Energic avec batteries H55 copyright ©air-to-air.ch
Quelles sont les prochaines grandes étapes pour H55 ?
« C'est définitivement la certification, nous avons toute une gamme de produits qui peuvent être intégrés dans des applications différentes. On essaie de travailler avec un nombre significatif de fabricants d’avions pour vraiment comprendre les besoins du marché.
De manière générale nous avançons dans deux directions : les équipements full électriques et les équipements hybrides qui combinent le moteur thermique (au décollage) et l’électrique (en croisière) ce qui permet de réduire le nombre (et le poids) des batteries.
Du fait de notre expérience, nous souhaitons faire accélérer la connaissance de l’électrification, souvent encore méconnue des avionneurs et des administrations. »
Qu’est-ce que H55 ?
H55 est une société suisse créée, en 2017, par l'équipe dirigeante de Solar Impulse. Elle comprend André Borschberg, Sébastien Demont et Gregory Blatt. H55 a accumulé une expérience de la conception, du développement, de la certification du vol électrique.
Les systèmes de batteries proviennent du savoir-faire développé initialement avec le projet Solar Impulse, puis mis à l’épreuve avec l'avion acrobatique Twister Aero1 et plus récemment avec le Bristell Energic. H55 se concentre sur l'ensemble de la chaîne de propulsion, depuis la source d'énergie et sa gestion, en passant par la poussée et la puissance, jusqu’à l'interface pilote et tous les systèmes de contrôle.
L’objectif de H55 est de rendre l’aviation plus propre avec des solutions innovantes, sûres et abordables.
Les batteries de H55
Pour H55, il n’est pas uniquement question de construire de nouveaux avions plus propres, mais également de fournir une solution de propulsion adaptable à tous les types d’avions légers existants.
Les batteries développées chez H55 sont certifiées. Celles-ci répondent à des normes particulièrement contraignantes de sécurité. Pour ce faire, H55 a conçu un design et des logiciels qui contrôlent les caractéristiques des cellules de batteries durant le vol afin d’en vérifier le fonctionnement, la sécurisation anti-feu et les risques de surchauffe, ce qui constitue une garantie pour un vol en toute sécurité. En parallèle, c’est également tout le circuit électrique qui est sécurisé, selon des normes particulièrement élevées pour répondre à la certification aéronautique. Une voiture peut prendre feu, mais pour un avion ce n’est pas acceptable et nous devons démontrer que c’est impossible.
Batteries H55 copyright © Anna Pizzolante
Une interview réalisée par Pascal Kümmerling (Avianews.ch, Suisse) & Frédérique Jacobs (Gate.31, Belgique)
Un merci tout particulier à André Borschberg pour sa disponibilité et l’échange très convivial.
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